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Le Renouveau Espagnol

J’ai connu ma première expérience internationale en étant caviste à Séville en 2013. J’y ai découvert des vins superbes et étonnants. Des assemblages audacieux voir curieux, des étiquettes farfelues et tape-à-l’œil, bref, des vins décomplexés ! Le but de cet article est de présenter la viticulture espagnole, son histoire, ses gloires et déboires, et les opportunités qui attendent ce géant trop longtemps endormi, laissant place au renouveau espagnol.

L’Espagne est le premier pays viticole en termes de surface, avec plus de 950 000 hectares de vignes ! Pour comparaison, la France pointe à la troisième place de ce classement avec 750 000 hectares.

Les vins espagnols ont longtemps souffert du peu de considération qui leur était accordée par la presse spécialisée internationale, et pour cause; le 20e siècle et ses diverses tribulations politiques et économiques, vit d’immenses coopératives prendre le contrôle de l’industrie vitivinicole du pays, avec comme but principal, la quantité.

L’Espagne qui a dû se réinventer, est vue depuis ces dernières décennies comme un des pays viticoles les plus dynamiques et intéressants par nombre de sommeliers et journalistes internationaux.

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Un peu d’histoire

En 1100 avant JC, les Phéniciens débarquent au sud du pays, avec leur savoir-faire viti-vinicole, et leur sens du commerce. Ils fondent le port de Cadiz, en actuelle Andalousie, qui devient un lieu très important du commerce du vin en Méditerranée. Quelques siècles plus tard, les Romains continuent de développer cette activité et participent largement à l’expansion du vignoble de la Péninsule Ibérique.

À la chute de l’Empire Romain, les peuples germaniques envahissent le pays, détruisant bien souvent les exploitations viticoles et impactant fortement l’industrie.

Les Maures envahissent le sud à partir du 8e siècle. S’ils ne sont pas à l’origine d’une réémergence de l’activité viticole car ils n’étaient à priori pas ou peu consommateurs, ils la tolèrent néanmoins.

C’est vraiment à la reprise totale de l’Espagne par la Chrétienté au 13e siècle que le vin et son commerce renaît. L’export vers l’Angleterre et vers les colonies espagnoles augmente considérablement, et notamment le commerce de vins « mutés » comme les Xérès.

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Manuel Quintano et le Marquis de Riscal

Au 18e siècle, la Rioja est la région phare du pays. ‘Quantité’ est le maître-mot, et la production n’est que très peu exportée, ce qui donne lieu à des problèmes récurrents de surproduction et de prix bas. La région doit son salut à un homme, Manuel Quintano, originaire de Labastida en Rioja Basque, (village de notre partenaire Bodegas Tierra) un chanoine viticulteur curieux, et désireux d’augmenter la qualité générale de ses vins. Il voyage à Bordeaux,  d’où il rapporte la « Méthode Bordelaise », et notamment, l’utilisation du souffre et de la barrique, apportant longévité, stabilité et complexité aux vins. Ces pratiques étant coûteuses, et le prix du vin de Rioja étant fixé par l’administration locale, peu de viticulteurs suivent Quintano dans sa petite révolution. Il faudra attendre encore un demi-siècle pour que se popularisent les techniques bordelaises.

Les Marquis de Murrieta et de Riscal, dont les noms vous rappelleront peut-être des domaines historiques de la région, s’exilent à Londres durant la guerre civile des années 1830, où ils ont l’occasion de découvrir les vins de Bordeaux dont ils raffolent. À leur retour, ils décident de suivre les pas de Manuel Quintano, et de rapporter sur leurs terres les secrets du nectar français.

C’est le début de l’élevage systématique en barrique en Espagne, un fait qui va changer la face de la production ibérique. Nous y reviendrons plus loin dans cet article dans la présentation de la classification des vins espagnols.

À la fin du 19e siècle, le phylloxera arrive en France et détruit la quasi-entièreté du vignoble. Les Français ont soif et doivent trouver du vin ! L’Espagne voisine, et notamment la Rioja, est encore épargnée par l’insecte ravageur. Une aubaine pour la région qui devient le fournisseur favori de ses voisins, et voit sa superficie viticole croître à grande vitesse, et les nouvelles exploitations pousser comme des champignons. Oui mais voilà, le phylloxera finit par arriver, et dévaste le vignoble riojano.  Dans le même temps, le remède a été trouvé et la France retrouve une activité viticole lui permettant de subvenir à ses besoins. En outre, les colonies espagnoles deviennent indépendantes, signifiant la perte des marchés à l’export les plus importants. C’est le début d’une ère douloureuse pour le pays : chômage dans le secteur viticole, désertion des zones de production, abandon des vignes etc. Beaucoup de cépages endémiques disparaissent !

Si le début du 20e siècle montre des ambitions qualitatives avec notamment la création de la première interprofession espagnole, le Consejo Regulador de la Rioja, la guerre civile de 1936 puis les deux guerres mondiales terminent les espoirs de renouveau. Les coopératives se chargent de maintenir la viticulture du pays à flots.

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Dans les années 60, un catalan du nom de Miguel Torres décide lui aussi de passer de l’autre côté de la frontière avec l’ambition de rapporter des techniques de viticulture et de vinification de qualité en Catalogne. Il ne choisit pas l’Aquitaine cette fois, mais la Bourgogne, où il étudie à l’Université de Bourgogne. Il ramène des techniques de conduite de vignes et le contrôle des températures de fermentation, Il introduit par la même occasion sur le sol espagnol des variétés internationales comme le Cabernet Sauvignon, le Merlot, le Chardonnay, le Riesling et le Gewurztraminer. Encore une petite révolution venue d’une inspiration de l’Hexagone.

L’entrée dans l’Union Européenne en 1986 est synonyme de nouveaux équipements et d’améliorations technologiques pour le secteur viticole : la qualité générale des vins ibériques augmente considérablement. Malgré cela, cette image de pays producteur de « petits vins bons marchés » lui colle à la peau. Il faut attendre les années 2000 pour que les vins espagnols se répandent sur les cartes des plus beaux restaurants. Mais ils restent largement minoritaires comparés à leurs prestigieux voisins français et italiens.

La classification espagnole

Le système de DO espagnol (Denominación de Origen – équivalent de nos Appellations d’Origines), voit le jour en Rioja en 1925, 10 ans avant la première AOC française ! Bien que pionnier, ce système ne connaîtra jamais le même essor qu’en France ou en Italie. Plusieurs raisons peuvent être évoquées : la puissance des coopératives, les vignobles familiaux morcelés et abandonnés, le manque d’influence et d’organisation des interprofessions, le manque d’intérêt pour leurs vins par les populations locales etc. On dénombre seulement 70 DO dans toute l’Espagne. La Bourgogne seule en compte plus de 80 !

En marge des Denominacion de Origen, une classification basée sur le temps d’élevage en barrique est mise en place à l’échelle nationale, avec quelques exceptions dans certaines régions.

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Elle se présente comme indiqué dans le tableau ci-contre (ci-dessus pour la version mobile).

Cette hiérarchie des vins suivant leur temps d’élevage en fût est bien ancrée chez les Espagnols, et il est une évidence pour bon nombre d’entre eux qu’un vin doit obligatoirement être passé sous bois ! Je me souviens d’un client lorsque j’étais caviste en Andalousie, qui ne voulait pas comprendre qu’un vin ne soit ni Crianza, ni Reserva, ni Gran Reserva ! Il a malgré tout acheté la bouteille, après 20 minutes passées à tenter de le convaincre que le bois n’est pas une nécessité absolue, et il est revenu la semaine suivante pour un carton, car il avait adoré la pureté du jus et le fruité de ce tempranillo de macération carbonique !

Les axes de développement

Un vin dilué, sans longueur ni complexité, deviendrait excellent après 24 mois en fût ? Soyons clair, cette hiérarchisation n’a pas de sens.

C’est la raison pour laquelle beaucoup de petits producteurs n’accordent plus d’importance aux systèmes de classification ibériques quels qu’ils soient, et décident de s’éloigner de la règlementation en place pour suivre leur voie. De quoi faire éclater des interprofessions déjà fragiles ! Mais aussi de quoi voir d’intéressantes expérimentations, des courants nouveaux, et de quoi découvrir de belles surprises. Il faut parfois savoir s’abroger de certaines règles pour faire renaître un vignoble, et ce ne sont pas les Toscans qui diront le contraire !

Beaucoup de producteurs tentent des assemblages étonnants, je pense au surprenant ‘Enfudrecido’ de Bodegas Tierra, vin rouge de Rioja avec 60% de grenache blanc. Mis à l’aveugle dans notre dégustation espagnole de novembre, il a frappé des dégustateurs connaisseurs par sa texture et sa finesse, personne ne le pensait de Rioja, et certains ont même cru détecter un Pinot Noir ! La scène des vins natures et vins oranges très en vogue actuellement est aussi très dynamique et rend l’Espagne très populaire chez les 25 – 40 ans.

L’Espagne a besoin de vins iconiques, reconnus et servis sur les plus belles tables du monde. Des flacons qui attirent les investisseurs, car cela participe grandement à la renommée générale des vins d’une région ou d’un pays. Comparés aux prestigieux Bourgognes, Bordeaux, Barolos et Californiens, leur nombre est insignifiant, mais il grandit. Je pense notamment aux vins légendaires de la Ribera del Duero, Pingus, Vega Sicilia Unico, mais aussi au catalan L’Ermita du célèbre Alvaro Palacios, de Teso la Monja dans la petite région de Toro. Sans oublier les inamovibles Xérès, qui s’ils sont un peu moins en vogue qu’il y a une trentaine, n’en restent pas moins des emblèmes de la culture viticole ibérique.

Les cépages endémiques hispaniques constituent un atout intéressant. Comme évoqué précédemment, beaucoup ont été abandonnés à la fin du 19e. Mais ces variétés locales reviennent au goût du jour, grâce aux nouvelles générations de vignerons. La Mencia de Ribeira Sacra et du Bierzo, capable de produire des vins faciles et fruités comme des vins structurés de longues garde (voir les vins de notre partenaire Adega Don Bernardino). Le Graciano de Rioja, traditionnellement utilisé en assemblage pour apporter vivacité et complexité, mais que l’on trouve de plus en plus en monocépage. La Bobal d’Utiel Requena du côté de Valence qui produit des vins structurés aux notes animales et chocolatées. Les îles, les Baléares, mais surtout les îles Canaries avec le Listan Negro commencent à être très en vue dans les capitales mondiales du vin comme Londres et New York.

Les cépages blancs ibériques ne sont pas en reste. On trouve tous styles de vins blancs sur la péninsule, au nord notamment : gourmands avec les Godellos galiciens ; salins et vifs avec l’Albariño de Rias Baixas ; fruités et aromatiques avec le Tempranillo blanc de Rioja, ou bien riches aux notes oxydatives avec la Viura (macabeo) et la Malvasia ; minéraux et parfois perlants pour le Txakoli du Pays Basque et son endémique Hondarrabi Zuri. Et les vins mutés d’Andalousie, secs avec le Palomino Fino rappelant nos vins jaunes du Jura, ou doux avec des Pedro Ximenez incroyables de complexité !

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J’espère que cet article donnera aux lecteurs l’envie de découvrir le vignoble et les vins espagnols. Et si vous souhaitez ajouter la pratique à la théorie, rejoignez-nous le 7 février pour une dégustation de vins d’Espagne du nord. Salud !

Matthieu Aravantinos DipWSET – caviste à Dijon

Dégustation vins d’Espagne du nord